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.Son ardeur ne reposait ni sur le souvenir de coucheries avec de jolies compagnes ni sur les lauriers récoltés au combat.Sa mission était sacrée.Frère Christofle allait sur son cheval nuit et jour depuis qu’il avait quitté Paris, mais enfin, sous la pluie battante qui creusait des ruisseaux de boue sur la route, faisant glisser sa monture, il parcourait son dernier kilomètre.Il était porteur d’une importante nouvelle : l’appel vers Jérusalem.Il atteignit le domaine seigneurial en même temps que le comte et tous deux pénétrèrent au galop dans la grande cour, où accoururent les serviteurs.— Monseigneur, commença le moine en glissant de sa selle.— Du vin ! cria Alaric sans manière, et de la viande !Ses gens s’inclinèrent rapidement avant de regagner la maison.Alors seulement, Alaric remarqua la présence du visiteur.— Nom de Dieu, mais qui es-tu donc ? grommela-t-il.— Frère Christofle, de l’ordre des alexandriens.Je porte une nouvelle urgente, monseigneur, annonça-t-il alors que la pluie dégoulinait sur son visage.Il avait parlé d’un ton si solennel, avec son air misérable et sa robe trempée, qu’Alaric eut envie de rire.Il lui donna une tape sur les épaules et dit d’une voix tonitruante :— Viens donc réchauffer ton dos près de ma cheminée, mon bon frère !Ils pénétrèrent dans la majestueuse entrée dont le sol disparaissait sous les tapis et dont les murs étaient couverts de tapisseries.Une odeur de camomille flottait dans l’air car Margot vouait une passion aux herbes, persuadée qu’en disperser dans la maison éloignait la maladie et les mauvais esprits.Alaric se précipita vers l’immense âtre où s’élevaient des flammes engageantes.— Monseigneur, dit frère Christofle, juste un mot, s’il vous plaît.Une affaire urgente m’amène.Alaric éclata de rire en se débarrassant de son manteau mouillé, révélant une cotte de mailles boueuse et tachée de sang.Deux jeunes écuyers l’aidèrent à ôter sa tenue de combat et commencèrent à sécher son corps nu à l’aide de serviettes chaudes.Il se laissa faire, sans honte ni pudeur, à la lueur du feu qui illuminait sa musculature robuste, marquée de nombreuses cicatrices, souvenirs de ses combats.— Je ne vois rien de plus urgent que de rendre hommage à la maîtresse de cette maison ! déclara-t-il.Il trempa ses doigts dans un bol d’eau parfumée et s’en tapota les joues.— Mais pour rien au monde je ne monterai la voir avant de m’être débarrassé de cette puanteur de bataille.Un serviteur apparut avec du vin.Alaric choisit un pichet et le vida à longs traits, tout en jaugeant son étrange invité.C’était un petit homme aux jambes arquées, au crâne rasé, au ventre saillant sous sa robe.Il était crasseux de la tête aux pieds, capuche incluse, et dégageait une épouvantable odeur de transpiration, de bière et de compost.Alaric se gratta les côtes et émit un rot satisfait.— Quelle est donc ta nouvelle ?Heureux qu’on lui accorde enfin un peu d’attention, le frère Christofle retroussa sa tenue détrempée, présenta ses fesses nues au feu et commença son explication.— À travers tout le royaume du Christ, les princes et les ducs appellent les hommes à prendre les armes.Une force immense est en train de se constituer, monseigneur, et elle se prépare à une marche glorieuse vers la Terre sainte pour sauver Jérusalem des mains des infidèles.Alaric avait déjà entendu parler de l’expédition vers l’Orient.Lors du discours passionné du pape Urbain, à l’automne[13] précédent, des milliers de voix s’étaient écriées : « Que la volonté de Dieu soit faite ! » Aujourd’hui, la fièvre chrétienne se répandait à travers le pays, et bien au-delà encore.Il écouta les propos de son invité d’une oreille distraite.Pour l’heure, seuls les plaisirs de la chambre occupaient son attention.— Les Turcs ont commis des actes épouvantables envers notre peuple, poursuivit le moine.Ils ont réuni les chrétiens et les ont forcés à se circoncire.Ils ont attaqué les pèlerins, les ont attachés à leurs chevaux, puis traînés à travers les rues de Jérusalem.Alaric se tournait et se retournait afin de laisser les écuyers frictionner et masser son corps engourdi par le froid.Puis il prit un autre pichet de vin et l’engloutit, sans cesser d’observer son interlocuteur.Christofle était bien singulier.Il ne portait pas de croix, aucun chapelet à sa ceinture, et ne criblait pas son discours, comme le faisaient généralement les hommes saints, de mots tels que « Dieu », « Jésus » et « Marie ».Il parlait avec une vivacité et une éloquence croissantes à mesure que la passion le gagnait, décrivant des tableaux de torture, d’éventrations d’esclavage.Et bien que, dans son emballement, il fût tenté d’exagérer ces horreurs, Alaric ne doutait pas de la véracité de son récit, sachant de quoi les Turcs étaient capables.Pour sa part, le frère Christofle jugeait l’appel d’Urbain fondé, si l’on laissait de côté les atrocités, et même la question strictement religieuse.En effet, l’Europe était mise à feu et à sang par tant de guerres, de batailles, d’échauffourées ! Les seigneurs partaient à l’assaut des terres et des maisons de leur voisin sans autre motif que de tromper l’ennui de leur vie de château.Puis, à peine la victoire remportée, ils rameutaient déjà le vaincu pour repartir au combat.Et cela inlassablement, comme si la carte de l’Europe n’était qu’un gigantesque échiquier sur lequel se déroulait une partie perpétuelle, où ni la vie humaine ni la paix ne semblaient avoir de valeur.Chamailleries, pensait le moine, qui ne voyait dans ces luttes que des cochons se battant pour des restes.Or Urbain, le plus sage des pontifes, avait trouvé une manière d’unifier ce peuple qui se déchirait : il lui avait donné un ennemi commun.— Monseigneur, les autres chevaliers cousent des croix sur leurs vêtements, en peignent sur leurs casques et leurs boucliers, et se font appeler croisés.Ils marcheront sous la bannière de Jésus-Christ.Ce sera une guerre sainte.Tout cela laissait Alaric indifférent.Tandis que les pages l’aidaient à revêtir sa longue et souple robe en renard, il regarda avec gourmandise le plat de pigeon rôti qui lui était présenté.Tous ses appétits étaient en éveil, si bien qu’il ne savait lequel satisfaire en priorité, Margot l’attendait en haut…— Godefroy de Bouillon a vendu la ville de Verdun et hypothéqué ses domaines pour avoir de quoi payer ses soldats, insistait le moine.Alaric de Valliers pourrait-il faire moins ?— Je ne suis pas religieux, mon frère, répondit Alaric, impatient de rejoindre sa femme.— Vous n’iriez pas pour la religion, mais pour sauver des textes anciens, objecta Christofle.C’est votre devoir, comte, de rapporter ces écrits en France.Alaric fronça les sourcils.Quelle occupation inutile ! Il n’était pas instruit et écrivait à peine son nom.Margot, en revanche, savait lire ; elle possédait même des œuvres… Il se remit à penser à elle.Elle excellait tant dans l’art de la chasse qu’aux échecs, ou lorsqu’elle jouait du luth.Mais rien ne le charmait davantage que de la voir monter sa jument baie en amazone, avec une élégance incomparable, son faucon favori perché sur son poing.Elle avait adopté la toute dernière mode, portant sous sa robe un jupon ajusté qui laissait deviner la finesse de sa silhouette [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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